Un déluge à tout
- Julien Compa
- 13 juin 2021
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 juin 2021
Nous sommes le 5 juin 2021 au petit matin, un Ultra Trail peut enfin se tenir en Suisse… le Swiss Canyon Trail dans le val de Travers ! Traditionnellement, on dit qu’il y’a un début à tout. Pour moi, ce 5 juin 2021, il y’a eu un … déluge à tout !
Il est 04h45, 15 minutes avant de s’élancer, et le speaker s’évertue à nous rappeler les règles sanitaires. Selon ses dires, l’événement est le premier organisé en Europe rassemblant plus de 2’000 personnes. Il y aurait même la présence d’inspecteurs sanitaires de la confédération qui analysent ce trail comme « événement test ».
Les coureurs sont disciplinés, nous avons tous réalisé un test la veille (antigénique ou PCR) et portons le masque. Ces quelques détails covideux devenus désormais usuels, n’entament pas notre hâte de parcourir les sentiers!
Au menu, 112 kilomètres agrémentés par 5’500 mètres de dénivelé positif, tout ceci au milieu des canyons du Val de Travers.
Un déluge d’eau
04h55, nous nous dirigeons sur la ligne de départ. Le déluge est aquatique. Il pleut des trombes d’eau. Autant dire qu’avant même le départ, je suis complètement détrempé ! J’ai volontairement choisi de ne pas enfiler ma veste afin de ne pas avoir trop chaud trop tôt. Ce choix s’avérera judicieux, car la température est plutôt clémente malgré la grisaille matinale.
Ma motivation n’est pas atteinte par cette météo. Lorsque la course est lancée, j’espère quand même très fort que la pluie se calmera rapidement... en réalité ce sera tout le contraire !
Les 10 premiers kilomètres se font donc sous la flotte. Le bruit des pas dans la boue rythme ce début de course et les glissades arrivent vite. Nous sommes plus de 550 inscrits sur cette distance, certainement un peu moins à avoir pris le départ, et les chemins sont déjà très marqués par nos passages. Personnellement, le plaisir de participer à ce trail est tout de suite présent. Je me régale de pouvoir remettre un dossard et découvrir de nouveaux paysages, même si pour le moment, la visibilité est toute relative.
Au kilomètre 12, alors que le jour s’est levé, j’ai le plaisir de retrouver Yves et Staro au ravitaillement de Noiraigue. Un bon soutien qui me permet d’aborder les fameux 14 contours nous menant au Creux-du-Van de la meilleure des manières. A mon plus grand désarroi, cette montée se fait en compagnie d’une « bande de shads » à l’humour douteux et lourd. Les quelques traileuses qui se trouvent au sein de notre petit peloton, ne goûtent que très peu aux blagues machistes à répétition… Ce que j’ignore encore, c’est que je retrouverai l’un de ces trublion franchouillard plusieurs fois pendant la journée.

Un peu avant 09h00, nous parvenons au Creux-du-Van. C'est un des canyon de la course, mais malheureusement la pluie a laissé la place au brouillard. Nous n'y voyons strictement rien. La route continue au milieu des pâturages et la légère descente nous amène jusqu'au prochain ravitaillement. Le décor est typique du Jura avec ses sentiers peu techniques et roulants.
Un déluge de paysages
Il faut avouer qu’à défaut de pouvoir admirer tous les canyons promis sur ce parcours, nous avons eu le droit à une succession de gorges et de cascades toutes plus belles les unes que les autres. Nous commençons par celles de la Poëta-Raisse Bifu au kilomètre n°34.
Une montée sur des escaliers très humides à côté des chutes d’eau nous dirigent au point culminant de la course, le Chasseron. Nous sommes arrivés en terres vaudoises pour quelques heures.
La descente qui suit et les nuages qui disparaissent enfin, nous laissent contempler le Gros de Vaud, ainsi que les lacs de Neuchâtel et de … Genève ! Une belle récompense après ces premières heures marquées par le déluge d’eau.

Arrivé à Vuiteboeuf, j’enlève ma sous-couche qui me tient trop chaud. Le soleil fait enfin son apparition. Un tuc-coca-gruyère plus tard, je reprends ma route pour me rendre au col de l’Aiguillon qui représente la mi-course . La petite bosse qui m’y amène, 950 mètres de dénivelé tout de même, se fait en compagnie du « trublion gaulois » qui semble avoir abandonné ces envies de blagues pour faire place à des essoufflements répétés… Les dernières centaines de mètres sur les Aiguilles de Baulmes se font en plein soleil et avec des falaises à couper le souffle. Ils sont finalement présents les canyons tant attendus !
La descente jusqu’au col se réalise à l’aide de chaînes, puisque la pente est à pic. J’ai rarement descendu une montagne de cette manière et plusieurs coureurs sont surpris par la difficulté de l’obstacle. Malgré cela, c’est avec un certain plaisir que je me laisse dévaler la caillasse sous les encouragements d’une bénévole qui, d’une voix de crécerelle, indique que le ravitaillement est à 5 minutes.
Un passage par le col des Étroits et de nouvelles gorges tout aussi belles que les précédentes nous ramènent juste sous le Chasseron. Les jambes commencent à piquer véritablement. Je me réjouis de parvenir au kilomètre 72, vers les Gorges de Noirveaux, lieu où m’attend mon sac suiveur. Nous franchissons à nouveau une frontière cantonale et sommes de retour sur Neuchâtel.
Vers 16h30, je déguste un plat de pâtes-sauce tomate servi par des bénévoles compatissants et motivants. J’en profite pour m’asseoir quelques minutes et refaire mes réserves personnelles de nourriture pour la suite (simples pâtes de fruits et barres de céréales).
Un déluge de convivialité
Il me reste une quarantaine de kilomètres à parcourir et mon corps commence à montrer quelques faiblesses. Fort heureusement, les ravitaillements seront d’une grande aide pour accomplir les dernières difficultés de cette course. Nous longeons une dernière fois la frontière valdo-neuchateloise à proximité de la Côte-aux-Fées. Vers le kilomètre 91, je subis « le coup de mou » de ma journée. Le chemin est quasiment plat, mais je peine à avancer correctement. Grâce certainement à une pâte de fruits et à de la boisson énergétique, mon cerveau retrouve sa motivation, mais surtout son plaisir de prendre part à ce trail. Je peux reprendre ma route sereinement un kilomètre plus tard.
A ma plus grande surprise je retrouve l’amateur de « blagues » originaire de l’hexagone. Il m’explique avoir lui aussi subi un coup de mou. Nous faisons quelques kilomètres ensemble lors desquels il m’expliquera être adepte de dégustations de bières. Tout bien réfléchi, malgré son humour de beauf, il n’en demeure pas moins sympathique…

Au ravitaillement de St-Sulpice, la convivialité des bénévoles atteint son paroxysme quand on me sert un vrai risotto aux champignons. Quel plaisir de déguster ce plat chaud après presque 100 kilomètres !
Ce plat savoureux n’est apparemment pas du goût d’un traileur anglophone assis à mes côtés. Après avoir tenté d’en avaler une bouchée, il la régurgite dans son bol avec une partie de ses précédents repas… Le bonhomme a l’air mal en point, se confond en excuses mais refuse catégoriquement mon aide (finalement c’est peut-être moi qui ne suis pas sympathique…).
Il me reste 15 kilomètres à parcourir et la nuit finit par tomber. Une dernière montée au-dessus de Boveresse dans la forêt et sur un sentier tout relatif, achèvera mes guiboles qui crient l’envie d’en terminer.
Dernier ravitaillement fort agréable et bref à la Roche, où on me servira du cake et du pain d’épices. Encore une fois, merci à tous ces bénévoles qui ont oeuvré dans l’ombre, au soleil ou sous la pluie pour nous apporter un soutien indéfectible pendant toute la balade.
Finalement, après 17h50 de course environ, je retrouve le village de Couvet, où Delphine et Charlotte m’attendent pour trinquer à nos réussites respectives (elles ont brillamment franchi l’obstacle du 51K, bravo à elles!). Franchissement de la ligne d’arrivée, t-shirt et … bouteille d’absinthe finisher!
Un déluge pour la suite
Une belle expérience qui m’aura rappelé qu’en Ultra Trail, comme toujours, la « course » se joue avec (ou contre) soi-même.
Personnellement, le plaisir de retrouver la nature en solitaire et ce dépassement de soi qui… dépasse peut-être un peu les limites du corps par moment, restent mes sources de motivation pour continuer à m’adonner à cette passion.
Si tout se passe comme je le souhaite, la suite de la saison trail se fera au Grammont dans une épreuve d’orientation et en duo, avant de tenter les expériences X-traversée de Verbier et MXtrem de Montreux!
Crédit photos : photossports.ch
Bravo Jul et merci de partager cette aventure 😍