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  • Photo du rédacteurJulien Compa

Ma diagonale émotionnelle - Montreux Trail Festival (Mxtreme)


« En lisant tes récits sur les trails, j’étais tellement captivé par tes histoires, que je me suis surpris à ne pas faire attention à la grammaire et à l’orthographe. En tant qu’ex-prof de français, je crois que tu peux prendre ça comme un compliment. »

Effectivement, je prends ce témoignage comme l’un des plus beaux compliments que j’ai reçu. Merci grand-papa !


Ce matin du 24 juillet au moment du départ du trail de Montreux, cher grand-papa, tu occupes toutes mes pensées. Cela fait quelques jours, que nous t’avons dit au revoir pour la dernière fois. Avec beaucoup d’émotions, je comprends que tu seras le fil rouge de mon ultra trail, une jolie balade de 110 kilomètres et 8'000 mètres de dénivelé positif, qui se court à travers les Alpes vaudoises. Tu étais un véritable passionné de montagne, ce modeste hommage est pour toi.


Ce récit, comme les précédents, se veut sans aucune prétention, avec pour seule ambition de faire partager mon ressenti et mes émotions (ô combien présentes) sur les sentiers du Mxtreme, alias « La diagonale des Alpes vaudoises ». Pour moi, cette expérience fût une vraie diagonale émotionnelle.


L’impatience


Comme quand j’avais 8 ans grand-papa, et que tu avais organisé aux aurores, une randonnée au Lac Fenêtre tous les deux, je n’ai presque pas fermé l’œil la nuit précédente. Je suis si impatient de parcourir les sentiers, que j’ai presque oublié que le sommeil avait des vertus.

Lorsque vers 01h15, je sors de ma somnolence passée sur un lit à étages de l’abri PC de Bex, mes premières pensées sont pour grand-maman et toi. Comme nous le faisions tous les trois au p’tit déj, je me fais deux tartines au miel. Seule petite différence, il n’y a ni bircher-muesli, ni jus de fruits pressé en accompagnement. Je me contente d’une banane.


Peu avant 04h00, tous les coureurs sont rassemblés pour le grand départ. L’impatience, mais aussi une probable peur se lit sur nos visages. Personnellement, j’ai les yeux qui scintillent d’émotions. Je laisse le vent frais du matin m’embaumer et me prépare à affronter cet énorme défi sportif.

Enfin, nous nous élançons à l’heure pile (précision suisse) sous les notes stridentes d’une cornemuse.


Le mur


Nous avons été prévenus, la première montée est surnommée « le mur ». En effet, en seulement 12 petits kilomètres, nous devons escalader 2’200m de D+… rien que ça !

Les kilomètres initiaux se font à la lueur de nos lampes frontales au milieu de la forêt. Une pluie inattendue vient refroidir ce début de course.


Au bout de plus de 2 heures de montée les uns derrières les autres, nous parvenons enfin au premier ravitaillement de La Tourche. Les bénévoles donnent de la voix. Je ne m’y arrête que quelques secondes et reprend rapidement ma marche en avant vers le Col des Perris-Blancs. En l’absence de tucs, je déguste des gran pavesi avec du coca, le goût est plaisant et sensiblement le même.

La végétation laisse ensuite sa place à la caillasse. Quelques chaînes permettent de négocier au mieux les passages vertigineux. La vue est à couper le souffle, le soleil se lève et le décor des Muverans est tout simplement exceptionnel.

Toi qui t’extasiais devant mes photos de paysages minéraux grand-papa, je n’ai aucun doute que tu aurais apprécié celui-ci.

Muverans

Pour l’anecdote, lors du lever de soleil, je m’autorise un « besoin pressant » en-haut d’une falaise, sous ces premiers rayons en compagnie d’un autre traileur. C’est… aussi magique qu’original !


Descente et toupins


Nous abordons la première descente en direction du Pont-de-Nant. Elle est d’abord technique et caillouteuse. Elle fait ensuite la part belle à un retour dans la forêt au milieu des racines qui semblent chercher à nous faire trébucher.


J’arrive au ravitaillement suivant un peu avant 09h00. L’ambiance est géniale. Nous sommes accueillis par un groupe de sonneurs de toupins qui encourage chaque participant à son passage, avec une haie d’honneur. Un bon coup de « boost » avant d’aborder les pentes du col des Essets.

Dans cette montée, je croise un couple de randonneurs qui se demande comment peut-on faire du trail en profitant du paysage. Je prends deux minutes pour leur expliquer qu’il est possible de lever la tête et d’apprécier le décor. Ils n’ont pas l’air franchement convaincu.

Comme quoi grand-papa, bien que mes explications au sujet de ma passion pour le trail avaient su te convaincre il y a quelques mois, elles ne sont vraisemblablement pas adaptées à tous…


Les bretzels


Quand nous basculons par le Col des Essets, nous avons déjà eu la chance d’admirer l’arête de l’Argentine. Lors de la descente, nous contemplons le splendide miroir du même nom, sous un soleil déjà chaud qui augure une journée estivale.

Heureusement, nous longeons une rivière qui refroidit l’atmosphère. Les cailloux sont présents et il faut redoubler de vigilance pour ne pas s’étaler de tout son long au milieu des nombreux randonneurs qui eux, montent en direction des hauteurs…

Miroir d'Argentine - crédit photo camptocamp.org

Le ravitaillement de Solalex nous offre (en plus des gran pavesi, cocas, fromages ou chocolats) des bretzels maison !

Gros pincement au cœur grand-papa, quand je me rappelle avoir dégusté un succulent bretzel avec toi à la fosse aux ours de Berne. Je devais avoir une dizaine d’années et je me rappelle toujours de cette épopée dans la capitale. Il faut croire que tout est fait sur ce trail pour faire ressurgir des souvenirs avec toi.

Après m’être sustenté correctement, je reprends ma route en direction de Chaux Ronde. La montée est suffocante dans la forêt. Les dernières centaines de mètres présentent même des pentes incroyablement inclinées et en plein soleil. Je commence presque à regretter l’averse matinale.

Une fois n’est pas coutume, je remarque que ma gestion de l’eau est mauvaise. Heureusement, je trouve une fontaine à l’eau glaciale et salvatrice dans le village de Taveyanne. J’y remplis mon gobelet, ainsi que ma flasque pour continuer en direction du Col de la Croix.


Dernière montée avant le Sépey


Une fois passé ledit col, je prends la route du Grand Chamossaire sur les hauteurs de Villars. Le soleil est presque à son zénith et nos foulées de coureurs commencent à ralentir.

Le point de vue au sommet est incroyablement panoramique. Je m’y arrête une petite minute et contemple les montagnes qui m’entourent.

Sans aucun doute, si je t’avais décrit le paysage à ce moment-là grand-papa, tu aurais détaillé avec passion les étymologies et toponymies des montagnes, des lacs et des villages.


Au loin, j’aperçois la tour d’Aï qui est le prochain joli morceau du parcours mais avant cela, j’entame la descente sur Le Sépey où m’attend patiemment mon sac suiveur.

Grand Chamossaire et tours d'Aï et Mayen

Se requinquer au Sépey


Nous, les participants le savons, le ravitaillement du Sépey est un lieu important dans notre course. Il ne faut pas négliger un arrêt réparateur pour négocier la suite. J’ai parcouru 60 kilomètres avec 4'500m D+, après plus de 11 heures sur les sentiers.

Il est déjà 15h passée et mon ventre veut un repas chaud. A mon grand soulagement, je peux y déguster une plâtrée de pâtes avec du parmesan râpé. On m’en sert une belle quantité… je vais le regretter très rapidement.

En effet, après m’être rassasié, crémé et changé, je quitte le village du Sépey pour attaquer directement une longue montée de 1'000m D+ en direction des tours d’Aï et Mayen. Très rapidement, je comprends que mon corps ne se remet pas en route… Je peine sur ces premiers kilomètres. Mon estomac me fait cruellement souffrir.

Un souvenir douloureux mais instructif me rappelle que lors d’un séjour à la Fouly, j’étais tombé malade et avait refusé l’eau du riz que grand-maman et toi souhaitiez que je boive pour remettre mon ventre en place. Ce remède d’un autre temps m’aurait peut-être été utile sur ces pentes vaudoises.


Reprise du plaisir

Heureusement, j’arrive au ravitaillement de Fer avec le corps et l’esprit retrouvés. Les derniers kilomètres se font dans un décor lunaire, alors que nous sommes surplombés par les hauteurs leysenoudes à plus de 2’000 mètres d’altitude.

Ici, je déguste un jambon cru du pays. On m’explique alors que la suite du parcours peut devenir sujette aux orages et qu’il va falloir être prudent. Pour le moment cependant, MeteoSuisse ne prévoit pas de déluge sur nos portions.

Je reprends rapidement ma route, alors que deux concurrents sont en train de vomir tripes et boyaux en étant soutenus par leur famille et des bénévoles courageux. Ils ne repartiront pas…


Avant de parvenir au sommet de la Berneuse, je grimpe par des échelles et des chaînes la combe de Bar. Ce passage est atypique, technique et me rappelle le Pas d’Encel des Dents du midi.

La descente qui suit sur Luan se fait sur un sentier absolument horrible et qui demande une attention particulière. Le soleil commence à descendre au loin et j’aperçois enfin un bout du lac de G’nève.

La Berneuse - crédit photo loisirs.ch

La nuit

Arrivé au ravitaillement de Joux-Verte, un bénévole qui se veut bienveillant, me fait remarquer que j’ai une « sale gueule fatiguée ». Je rigole un bon coup et lui explique que je tiendrai quoiqu’il en coûte jusqu’au terme de ce trail.

La montée dans la forêt pique les cuisses et le passage au Pas à l’Âne offre une vue splendide qui se fait par une crête engagée et vertigineuse. A ce moment-là, je me trouve en compagnie de deux autres traileurs et, de concert tous ensemble, nous allumons nos lampes frontales. Au vu de l’apparition du brouillard et de la nuit, nous décidons même de poursuivre l’aventure en trio jusqu’au ravitaillement du Col de Chaude.


Dans ce ravito, les bénévoles sont encore plus aux petits soins que d’habitude. Ils nous offrent un risotto al funghi exceptionnel qui a le mérite de nous donner du courage pour gravir la dernière pente jusqu’aux Rochers de Naye. Bien que cette montée ne présente pas de difficulté particulière, après 95 kilomètres, avec la fatigue et la pluie qui commence à tomber, la tâche me semble colossale.

Je pense alors très fort à toi grand-papa en regardant les rares étoiles au-dessus de moi entre les nuages. Je ressens le besoin de me dire que si je continue, c’est aussi pour que tu sois fier de moi.


Descente et délivrance

Une fois franchi ce dernier obstacle, je dévale tant bien que mal la pente en direction de Montreux et de l’arrivée. Je me fais une belle frayeur avec une chute impressionnante (mes tibias s’en souviennent encore) et je ne dois mon salut qu’à un piquet de pâturage pour ne pas basculer dans l’obscurité en contre-bas. C’était « moins une » comme on dit !


Finalement, après plus de 22 heures de course, je parviens dans la ville de Montreux. Je suis accueilli par Dédé et Charlotte qui se sont réveillées pour m’accueillir sur la ligne d’arrivée. Merci encore à elles qui ont bravé la nuit et la faune montreusienne pour venir me féliciter!

Merci aux bénévoles, à l’organisation du Montreux Trail Festival, ainsi qu’aux traileurs qui m’ont fait vivre une course aux valeurs aussi humaines que sportives!

Une tête ahurie et un tibia en sang

Une centaine de mètres avant de parvenir à la délivrance de l’arrivée, les larmes que je retenais depuis plusieurs jours ont fini par couler. Je me demande si de tout là-haut grand-papa, tu as définitivement compris ma passion pour ce sport qui m’apporte plaisir du dépassement de soi et plaisir d’évoluer dans la nature.

J’aurais tant aimé te passer notre traditionnel coup de téléphone lundi matin pour te raconter ma longue balade. Tu m’aurais certainement dit que tu te sentais « comme un vieux en train de mourir » et que je « devais prendre soin de mes genoux ». Au lieu de cela, je me retrouve ce lundi, devant une foule de proches et d’amis, à témoigner par un discours tout l’amour et l'admiration que ressentent tes 8 petits enfants pour toi.


Même si je suis conscient que je ne pourrai plus te narrer mes expériences de trails et te faire vibrer au rythme de ma passion, j’espère que là où tu te trouves désormais, tu es aussi fier de moi, que je le suis d’avoir eu un grand-papa comme toi.


Signé, ton p’tit fils Julien

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