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  • Photo du rédacteurJulien Compa

Ma balade inachevée -SwissPeaks Trail 2020

Dernière mise à jour : 21 sept. 2020


J'en rêvais depuis des mois. Il m'obsédait. Je ne pensais plus qu'à ça… le SwissPeaks Trail. Une course de 314km avec 22'000m D+, une belle balade de Bettmeralp jusqu'au Bouveret, tout le Valais ... ou presque !

Les semaines qui ont précédé le départ, cette obsession a atteint son pic (ou son peak) pour ne plus me lâcher jour et nuit. C'était mon objectif, mon aventure. J'étais stressé, mais prêt à vivre cette " grosse balade " avec comme seul leitmotiv : prendre du plaisir !

Les encouragements, j'en ai reçus une quantité fantastique. Je ne pourrais pas décrire à quel point ils m'ont motivé. Donc pour commencer ce récit, merci à toutes celles et ceux qui m'ont donné de l'énergie pour avaler ces kilomètres !


Départ

Le 1er septembre 2020, mon périple débute dans… le Léman Express, puis se poursuit dans le train RegionAlps bondé de jeunes ados qui crient à n'en plus finir.

Fort heureusement, j'arrive sans voir le temps passer dans le téléphérique qui m'amène au pied du glacier d'Aletsch dans le village de Bettmeralp.

Je pénètre dans la salle de gym faisant office de lieu de départ, mais aussi de sieste sur tapis de sol et de dernier repas. Je me demande ce que je fais là. Je suis très impressionné, par les gens autour de moi qui parlent du Tor des Géants (330km et 23'000 D+), du Tor des Glaciers (450km et 32'000 D+) ou d'autres ultras trails qu'ils ont terminés.

Pour ma part, je suis un véritable débutant. Mon seul " fait d'armes " c'est le LG Trail (120km et 4'000 D+). En plus, je n'ai jamais passé une nuit dehors à courir… Me voilà pas très rassuré.

Quelques minutes avant de couper mon portable, je reçois des messages qui me font chaud au cœur, ainsi que deux coups de téléphone qui me tirent quelques larmes.


Bettmeralp – Eisten (Base de vie n°1)

Il est 23h30, le briefing débute sur la ligne de départ. Nous sommes tous masqués (#COVID19), il fait frais, mais nous sentons que la pression monte.

Les speakers (français, anglais, italien) nous donnent les dernières instructions. A 23h40, tout a été expliqué. On se demande si l'on va patienter pendant 20 minutes sur la ligne mais tout s'enchaine vite. Nous avons le droit à une projection du clip de Philippe (véritable troubadour du trail), qui a réinterprété la chanson de " 3 Cafés Gourmands ". L'émotion me gagne, je me demande quand même une dernière fois ce que je fais là…


Puis, sans avoir vu les minutes défiler, c'est le coup de pétard, le GRAND DEPART ! Nous nous élançons tous dans la nuit, sous une fine pluie. Dès ce moment-là, je me sens bien, j'y suis enfin, le SWISSPEAKS commence !

Très rapidement, nous atteignons un petit col nommé Hohflue. Il fait très humide sous les yeux des bovins locaux et je sais que nous allons entamer une descente de 1'600m D-. J'ai chaud, trop chaud. Je m'accorde 2 minutes pour enlever ma doudoune et enfiler ma veste de pluie qui est beaucoup plus adaptée aux conditions. Arrivé en bas de la descente, je suis satisfait et soulagé, celle-ci s'est déroulée sans accroc.

Nous atteignons le kilomètre 17, premier ravitaillement à Ried-Brig. Je prends un bouillon qui me réchauffe et deux morceaux de pain. Cinq minutes plus tard, je suis reparti pour la première vraie montée de ce SwissPeaks, avec 1700m D+ en 9 kilomètres.

Dès les premiers mètres de cette difficulté, je me sens bien, trop bien. En réalité, cette sensation de " facilité " (en toute modestie) lorsque la pente bascule en dénivelé positif, me suivra tout au long du parcours. J'ai trouvé mon rythme. Je me mets derrière un petit groupe qui monte d'un bon pas, mais je remarque que je souhaite accélérer un peu. J'atteins donc le ravitaillement de Lengritz sans encombre, mais sous des bourrasques de vent et de neige. Je ne m'arrête que 5 minutes, de peur d'attraper froid.

Par la suite, nous continuons à grimper pour atteindre le sommet, les pieds dans la poudre blanche et dans une quasi-tempête de vent-neige à 2400 mètres d'altitude. Nous avons peur de nous perdre car un fanion de balisage a dû s'envoler. La descente qui suit se fait au lever du soleil. Les paysages sont fantastiques, j'éteins ma lampe frontale. Je me dis que j'ai de la chance de me trouver là. Les personnes qui me suivaient ont disparu, j'avance bien plus vite que prévu.

Au petit matin, vers 07h00, j'atteins Giw et un restaurant qui fait office de ravitaillement. C'est parfait, il y a de la viande séchée fraichement tranchée, du café et du bircher-muesli. Je sais qu'il me reste environ deux heures pour atteindre Eisten et sa base de vie. Je repars l'esprit tranquille et le ventre bien rempli.

Vers 09h15, j'arrive à Eisten, 1ère base de vie, avec 4 heures d'avance sur ce que j'avais prévu. Dans la descente avant ce village, je croise un Français qui m'explique qu'il a prévu de mettre 90 heures pour arriver au bout. Malgré cela, je reste focalisé sur mon seul et unique objectif… arriver au terme de cette balade !

A mon arrivée à la base de vie n°1, je suis frappé par une chose : quasiment tous les autres coureurs bénéficient d'une assistance de proches. Lorsqu'ils arrivent, ils trouvent une table remplie de victuailles et n'ont plus qu'à " mettre les pieds sous la table " pour manger et parfois même se faire masser.

Pour ma part, c'est un peu plus folklorique. J'ouvre mon sac suiveur, je sors toutes mes affaires et d'une manière pu académique, je branche ma montre GPS, ma batterie de lampe frontale et mon téléphone. Je suis les conseils que j'ai reçus quelques heures auparavant et vais prendre une douche. Il m'est encore aujourd'hui impossible de décrire la sensation que je ressens après m'être lavé… incroyable, je crois être un autre homme, je ne ressens aucune fatigue.

Pendant que j'écris à mes proches, j'avale un bol de pâtes sauce-tomate et je mange un cake au chocolat. A côté de moi, un Polonais s'ouvre une bière Corona. J'hallucine, je trouve ça irréel. Ce que j'ignore à ce moment-là, c'est que je croiserai ce coureur à chaque base de vie et qu'à chaque fois, il boira sa bière.

Finalement, vers 10h45, je me décide à repartir, le soleil est bien haut et chauffe déjà beaucoup.


Eisten – Grimentz (base de vie n°2)

Le premier col est terrible sous la chaleur, mais heureusement il est assez court. Je rencontre trois Français qui m'accompagneront jusqu'au ravitaillement suivant au bord d'un lac. Je les laisse là, ils préfèrent profiter du soleil en sirotant du thé.

Pour ma part, je reprends ma route et croise un Valaisan qui apparait dans le clip promotionnel de la course. Il hallucine que je le reconnaisse, mais entre son accent et sa dégaine, je ne pouvais pas le louper ! Il me laisse prendre de l'avance dans la montée de Jungu, on est en plein soleil. Je subis deux petits coups de mou, mais je ne m'arrête pas. J'avale quand même une pâte d'amande et une barre de nougat.

Arrivé au ravitaillement, je ne prends qu'une quinzaine de minutes pour boire un bouillon, déguster mon traditionnel tuc-coca (#mercidédé) et manger une barre de céréales. Je reprends mon chemin et m'attaque au Augstbordpass. Ce col fait peur sur le papier, mais les paysages avec le soleil couchant sont fabuleux. Je me délecte de cet univers très minéral tout en ne m'arrêtant pas au col, car le vent est violent et il fait très froid.

Vers 21h30, c'est l'arrivée à Bluömatt. Premier ravitaillement où de la raclette est servie. Je refuse ce met traditionnel, mais me sustente avec des pâtes et du chocolat. Le repos est de courte durée, je sais qu'il me reste environ 4 heures jusqu'à Grimentz.

Les heures suivantes sont sombres, nous avançons à la lueur de nos frontales et de la pleine lune. Je rejoins une Suisse-allemande qui panique dans la montée du col de la Forclettaz. Il faut dire que la neige est de retour, nous arrivons à plus de 2'800 mètres et il y a toujours du vent. La descente qui vient après est une véritable piste de bobsleigh, ça glisse mais j'en rigole.

Au ravitaillement de Tashélet, on nous sert une soupe aux légumes maison absolument délicieuse. Le moral est toujours bon pour ma part et je sais qu'il y a plusieurs kilomètres de plat avant la base de vie n°2. Ces kilomètres seront de loin les plus ennuyeux de mon voyage. J'en ai marre de ce sentier dans la forêt. J'ai mes premières hallucinations visuelles et quelques-unes auditives puisque j'entends des chants de matelots dans la rivière toute proche.

Finalement, j'arrive à la base de vie de Grimentz vers 01h30. Je décide d'y rester dormir 1 heure et demi. Ce laps de temps est idéal. Je me requinque et mange un vrai petit déjeuner vers 04h30.


Grimentz – Grande Dixence (base de vie n°3)

Peu avant 05h00, je reprends ma route. J'envoie deux messages vocaux à mes proches en leur disant que tout va bien. Je tiens à les rassurer et je les imagine en train de terminer leur nuit, alors que la mienne n'a ni commencé, ni fini…

La montée jusqu'à la Cabane des Becs de Bosson est un régal. Le soleil se lève, la température est idéale. Il y a seulement les derniers hectomètres avant le ravitaillement qui posent problème, car la neige fondue s'est transformée en glace et c'est hyper glissant. Dans la cabane, je discute avec des randonneurs qui prennent leur petit-déjeuner et qui hallucinent sur le tracé du trail.

Arrivé en bas de la longue descente depuis la cabane, 500 mètres avant d'atteindre le village d'Evolène, j'entends à plusieurs reprises " Compa, Compa ! ". Je n'y crois pas, quelqu'un crie mon surnom... ! Un collègue valaisan est venu m'encourager. Quel plaisir de voir un visage connu. Nous passons une demi-heure ensemble, entre un bout de chemin et le ravitaillement. Je ne le remercierai jamais assez pour les pastilles de sel et l'aide morale qu'il m'a apportées à ce moment-là. Merci mille fois Yves !

Ensuite, vient le moment d'attaquer le col de la Meina. Un ravitaillement sur le chemin tenu par des jeunes filles pleine de bonne humeur, le soleil qui tape et ma première discussion avec Julien Delèze. Le sentier est " roulant ", je me sens en forme au moment de franchir le col et d'entamer la redoutée descente sur la Grande-Dixence.

Et là… stupeur, dès les premiers mètres de cette descente je ressens une douleur terrible sur l'extérieur du genou gauche. Je n'arrive pas à y croire, est-ce le syndrome de l'essuie-glace qui revient un an après… ? Je ne fais pas le malin, le moral en prend un coup c'est certain.

Contre toute attente, la douleur diminue et, arrivé au pied de cette descente, je n'ai aucun mal à avaler les 500m D+ qui amènent à l'hôtel de la Grande-Dixence. A cet endroit, je sais que nous avons le droit à une chambre pour se reposer. Je m'y pose pendant 30 minutes et j'avale d'une traite le ragout qui est proposé en plat chaud. Je commence à m'habituer à la routine de mettre en charge mes appareils électroniques, manger quelque chose de consistant et à prendre le temps de me laver pour me sentir prêt à repartir.


Grande-Dixence – Relais d'Arpette (base de vie n°4)

Il doit être 18h45 quand je reprends ma route. Je sais que le glacier du Grand Désert m'attend. J'avais promis de le passer de jour et en groupe. Me voilà en route pour le faire de nuit, seul au monde et avec de la neige. Je ne serai pas déçu…

Le paysage est lunaire, les rochers sont énormes et à plusieurs reprises, je manque dangereusement de littéralement me " casser la gueule ". Tout d'un coup, au milieu de la pénombre, une tente se détache, c'est le ravitaillement. Il est occupé par deux " vrais " Valaisans, bourrus mais très accueillants. Je suis seul avec eux, ils m'offrent un café et du lard au miel. Quel régal !

Le col de Louvie qui suit tient toutes ses promesses. Si je ne fais pas attention, la pente est tellement raide, que je peux me frotter les genoux contre la caillasse. Ce passage, bien qu'éprouvant physiquement, restera un des meilleurs moments pour moi. Malheureusement la suite sera certainement le moment plus pénible.


Je peste contre les pierriers dans la descente sur le lac de Louvie et Plamproz. Ma douleur au genou s'est définitivement réveillée et je comprends que l'essuie-glace est de retour. C'est un sacré coup de massue, moi qui pensais m'en être débarrassé en changeant de chaussures il y a plusieurs mois. Les bénévoles qui m'accueillent plus tard sont aux petits soins. Ils me servent une raclette. J'y croise mon homonyme Julien qui s'accorde une sieste sur une palette avec un duvet de fortune.

Je ne veux pas rester au ravitaillement et je pars bien décidé à m'attaquer à la montée sur la Cabane Brunet en faisant fi de ma douleur. Dans cette difficulté, très raide et dans des hautes herbes, je rejoins Dario, un Italien qui se débrouille bien en français. Nous discutons de nos vies respectives, il me dit qu'il a 46 ans et qu'il fait de l'ultra trail depuis une dizaine d'années déjà. Encore une fois, je suis impressionné par son expérience mais je parviens aisément à suivre son rythme.

Arrivés vers Brunet, nous entamons un long chemin à flanc de coteau jusqu'à la Cabane de Mille. Dario est fatigué et s'endort en marchant. Je suis obligé de le pousser pour ne pas qu'il tombe. Il veut dormir, il compte de 1 à 50 en 4 langues (!), puis me raconte l'histoire du " Petit Chaperon rouge " en français pour rester éveillé. C'est complètement délirant, je me trouve à 2'200 mètres d'altitude avec un Italien qui me raconte un conte d'enfant, alors que nous devons enfiler nos doudounes tellement il fait froid. Il est inconcevable de s’arrêter ici, ce serait du suicide.  


Dario est au plus mal et soudainement, décide de s'endormir à même le sentier en enfilant sa couverture de survie. Je n'ai pas d'autre choix que de compter 300 secondes à voix haute. Je le réveille, on se remet en route et c'est moi qui impose un rythme désormais.

Cependant, mon compagnon du moment ne peut plus suivre. Il me souffle qu'il y a des frontales qui nous rattrapent et me demande de le laisser avancer à sa cadence. C'est un peu égoïste, mais je ne me fais pas prier et je décide d'avancer seul.

Une vingtaine de minutes plus tard, j'arrive enfin à la Cabane de Mille. Je suis contrarié, car certain que j'aurais pu y arriver une heure avant, si je n'avais pas attendu mon compère italien, mais qu'à cela ne tienne, j'avale un p'tit déj sous les premières lueurs du jour.

Je ne m'attarde pas longtemps dans ce ravitaillement, car je sais qu'il me reste plus de 19km avant d'arriver au Relais d'Arpette. J'avale un anti-inflammatoire en prévision de la longue descente jusqu'à La Douay et là… c'est le drame, le genou gauche refait des siennes. Il est évident que je ne peux plus courir en descente, la douleur me déchire. Pour la première fois, j'ai l'impression que je n'arriverai pas au bout du trail.

Alors que le soleil commence à réchauffer, je m'endors en marchant. Je ne pensais pas que c'était possible, mais je dois bien admettre que je fais un somme alors que mes jambes continuent à avancer.

Je m'assois alors sur le bord du sentier et avale une pâte d'amande (mon péché mignon dans cette course, mais si précieux pour le moral). C'est là que Julien Delèze me rejoint et je lui demande si l'on peut faire la descente ensemble. Ce sera à coup sûr, l'un des meilleurs moments de partage de mon trail. Julien, traileur aguerri et habitué des ultras, me remotive et me permet d'oublier quelques heures ma douleur.

Contre toute attente, j'entends quelqu'un qui arrive en courant derrière nous. " Hey ciao! Grazie grazie! ", c'est Dario, le conteur italien ! Incroyable, il a repris du poil de la bête et nous dépasse avec un grand sourire. Je suis content qu'il n'ait pas fini gelé sur la route…

Encore une fois, après une descente très difficile, les 1000m D+ qui nous amènent au Relais d'Arpette sont une formalité. Je ne comprends pas pourquoi je peux être si à l'aise en montée, alors que je souffre le martyre lorsque la pente bascule en D-. Je rattrape même Dario et nous terminons ensemble jusqu'à Arpette.

Malheureusement, le temps de pause que je m'accorde, ainsi que mon passage entre les mains d'une ostéopathe qui aura fait de son mieux pour soulager ma douleur, me seront fatals. Je repars du Relais d'Arpette, je fais 500 mètres. J’atteins donc 200 km de course environ, 65 heures d’effort et je ne peux plus marcher... c'est bel et bien fini pour moi.

Les yeux rougis (oui je l'avoue sans pudeur), je retrouve la base de vie précédente. Les bénévoles me remontent le moral. Je bois une bière pression (enfin!).  

Les nombreux messages / appels de soutien que je reçois me font un bien fou. Encore une fois, merci à tous ceux qui m'ont suivi et encouragé jusqu'au bout ! Félicitations à l’organisation pour avoir composé avec toutes les contraintes sanitaires cette année et pour la qualité de cette course hors-norme. 


Retour à la réalité

Après quelques jours de moral en berne, je retire malgré tout que du positif (ou presque) de cette expérience magique. J’ai pris un plaisir énorme et ai vécu des moments qui resteront à jamais gravés. 

Je sais que ma préparation physique n’a pas été idéale, que j’aurais dû faire plus de volume d’entraînement et que désormais, je dois réparer ce syndrome de l’essuie-glace.

Cependant, ce n’est que partie remise !


L’an prochain, dès le 29 août, je compte bien être de retour sur les sentiers du Swisspeaks pour y trouver : la beauté des paysages valaisans, la solitude, la chaleur humaine entre traileurs et le goût de l’effort !



Crédits photos : Théodore Delaval; SwissPeaks Trail; Visualps; Tim Stirling

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